Du haut de ce temple, un paquet d’années me contemplent. Peut être pas autant que dans d’autres sites plus anciens, mais un paquet quand même. Pas loin de moi, un guide mexicain explique à quelques américains que le gugusse au dessus du portail est le dieu du maïs, celui qui a ramené la céréale du monde souterrain, etc, etc. Il se lance dans une longue tirade sur les aventures du dieu en question. Je jette un oeuil à mon guide vert. Les historiens ont aussi quelque chose à dire sur le gugusse. Ils pensent que c’est peut être un dieu, ou alors un roi, enfin, ils ne savent pas trop bien. Bref, c’est un gugusse, quoi. C’est moins fun, mais ça a le mérite de l’honnêteté.
Pourtant, cette honnêteté me semble une qualité plutot récente chez les chercheurs en histoire. Je suis peut être mauvaise lanque, je connais mal le domaine, mais le fait est qu’il trainait encore il n’y a parfois pas si longtemps dans le milieu de la recherche historique des personnages hallucinants. Restons dans le coin de chichen Itza, puisque c’est de ce site qu’il est question ici. Diego de Landa, second évèque de Mérida, a fourni un travail conséquent pour consigner par écrit les us et coutumes des indiens de la région et s’est même essayé à la traduction de l’écriture maya. Cool. Il est également responsable de l’autodafé de Mani, durant lequel la totalité des écrits maya de la région ont été détruits (ceux qui n’étaient pas gravés dans la pierre, off course). Pratique pour raconter ce qu’on a envie par la suite. Toujours dans la même région, Auguste Le Plonngeon, un français, a tartiné jadis des pages et des pages de théories sur les mayas qui mériteraient d’être publié dans la collection rouge de J’ai Lu, entre deux ouvrages de soucoupistes et trois ou quatres délires new age. Entre autres, les mayas ont peuplé la vallée du Nil, si j’ai bien suivi. Non content de répendre ses délires (heureusement un peu trop appuyés pour être pris au sérieux), le bonhomme faisait en toute légalité des fouilles sur le site de Chichen Itza… à la dynamite. Ne vous demandez surtout pas après le passage de ces deux gus pourquoi on manque d’infos sur ce qu’était la vie quotidienne dans la région.
Si on oublie ces cas extrèmes qui non content de propager des théories foireuses, ont réussi à détruire une énorme quantité d’information précieuse (enfin, pour ceux que ça intéresse), il reste que la recherche en histoire a trop souvent ressemblé par le passé à la démarche consistant à 1) trouver une explication « qui colle » 2) la répéter jusqu’à ce que tout le monde l’admette et s’appliquer à discréditer ceux qui cherchent dans une autre direction. Bien entendu, difficile de faire autre chose pour le point 1 tant qu’on a pas inventé la machine à remonter le temps. Par contre, pour le suivant, on pourrait quand même imaginer quelque chose de plus scientifique, à condition d’admettre que la théorie de l’autre ne menace pas forcément mon statut de chercheur renommé et respecté.
C’est ainsi qu’il a fallu attendre jusqu’en 1960 pour qu’on comprenne que dans les fresques mayas, les « dieux » étaient en fait des rois et les « prètres » des femmes en robe longue. Ce qu’on prenait pour une fresque religieuse était l’histoire politique d’une communauté et la situation politique était un peu plus complexe que la théocratie qui était jusque là vendue par les historiens. A l’origine de cette découverte, une chercheuse qui, au lieu de rester confortablement installée dans les théories en place, a cherché les détails qui ne collaient pas vraiment avec celles-ci et les a exploité. Le détail de cette découverte est un peu long à relater ici, mais est au combien passionant. Plus à mon gout que les délires pseudo mystiques d’un historien en mal de renommée qui matraque des théories millénaires sur les prètres rois de l’empire maya (empire maya, ça a existé, ça? hum…). Bien entendu, on est peut être pas encore au bout de nos surprises, mais là, on a au moins avancé d’un poil de couille.
C’est un exemple, mais je suis tombé sur des cas comme ça assez souvent, en fait. Prenez les menhirs de Carnac. Superbes allignements basés sur la position du soleil lors des solstices (ou équinoxes, qu’en sais-je moi?). Qu’est-ce que j’ai rigolé quand je suis tombé sur l’histoire (pas très connue) des découvreurs du site qui ont trouvé plein de pierres couchées par terre et une ou deux debout, et qui ont décidé qu’il s’agissait d’un temple dédié au soleil. Et les archéologues de mes couilles de redresser de suite toutes les pierres pour les installer à l’endroit qui colle avec leur théorie toute neuve. Il n’y a pas longtemps, je m’intéressait à l’existence (ou pas) d’un sentiment d’appartenance à une nation chez les occupant du royaume Franc autour de l’an mil, et on observe là aussi l’arrivée récente d’une méthode scientifique dans la recherche historique, qui bouleverse les théories en place. Ces dernières étaient religieusement défendues depuis des années par les gens qui les avaient construites et par leurs zèlés suiveurs.
Je craint que les livres d’histoire qu’on m’a fait avaler à l’école (et peut être même ceux qu’on enfonce encore maintenant de force dans la gorge des élèves) ne contiennent encore pas mal de ces théories ne reposant sur pas grand chose d’autre que l’imagination du chercheur, et ne laissant aucun point d’interrogation pour le chercheur à venir. J’ai bien peur que pas mal de guides touristiques, ou de guides tout cour (ceux avec des bras, des jambes et une grande bouche) ne continue de les répéter également. Surtout quand elles sont plus glamour que les théories modernes, souvent pleines de trou et d’interrogations. Pendant ce temps, moi, je suis en train de découvrir un truc qu’on m’avait caché au collège: l’histoire des époques anciennes, très anciennes, c’est passionant. Non parcequ’on y découvre les détails de civilisations anciennes tellement étonantes, mais justement parcequ’on ne sait souvent absolument pas de quoi on parle et que tout reste à découvrir. Ca, ça laisse de la place au rêve et à l’imagination. Et parceque je n’ai pas oublié mon pote Henri Broche, je promet, si un jour l’envie me prend d’étaler mes théories délirantes en public, de présenter aussi les éléments qui ne collent tout simplement pas avec mon invention.